Bon dieu. Mais quel idiot. Gros nul. Débile. Crétin. Tous ces mots -et bien d’autres- ne cessaient de résonner dans la tête de l’Amish qui était plus droit comme un i que jamais, ses fesses -serrées- posées sur le tabouret de velours rose du piano. Ses doigts, autrefois dansants sur les touches d’ivoires dans une certaine frivolité, offraient une certaine raideur bien inconnue comparé à ce début de soirée. Quand il n’y avait pas encore beaucoup de monde. Quand la population énormément masculine -même pour un bar de San Diego- n’était encore que faiblarde et timide. Quand la soirée n‘avait en gros, pas encore commencé entre autres. Et que Pete ne s’était pas encore rendu compte de la situation dans laquelle il s’était mis.

En fait, ça avait plutôt bien commencé. Contrairement aux autres bars, celui-ci servait des cocktails sans alcool mais avec tout autant de couleurs que les alcoolisés. Pete s’était alors lâché, acceptant même la petite ombrelle et le sucre coloré sur le bord de son verre. Il s’amusait à faire durer le plaisir en mangeant toute la gourmandise alors accoudé au bar, discutant avec l’un des serveurs au sourire aussi grand et présent que le sien. D’ailleurs, tous les autres gars avaient le même. Woah. Ça plaisait à Pete ça, plus habitué aux ronchons dans les autres bars. Des ronchons bien plus habillés en plus. Bref, l’ambiance était plutôt décontractée et colorée, et il aimait bien ça. L’heure arrivant, Pete se dépêcha de terminer son cocktail et de découvrir l’instrument de sa nuit, le monde commençant à arriver calmement.

Alors emporté par ses propres notes, ses mirettes ne voyaient pas le monde qui arrivait. Mais il l’entendait se multiplier, remplir toujours plus la pièce avec de vives conversations et ça, ça lui plaisait. C’était bien plus bondé que les endroits auxquels il était habitué. Les gens étaient plus tactiles, plus enclin à la conversation. Combien de clients -d’hommes- s’étaient manifestés, en bonnes oreilles attentives, offrant une tape doucereuse au musicien inédit, allant même pour certain jusqu’à proposer un cocktail qu’il refusait gentiment. Pas de boisson près de trésor noir et blanc. Mais il se promit de faire son premier tour des tables dans ce bar dès qu’il en aurait marre. Mais ça, c’était encore quand ses prunelles fixaient droit devant lui. Car à peine s’amusa-t-il avec son tabouret, tournoyant sur lui-même après avoir donné le grand final de la 1ère partie de soirée…

Trop d’hommes. Trop d’hommes s’embrassant. Dansant entre eux, dans un collé-serré que Pete n’avait connu que dans ses moments les plus intimes avec Tony. Habillés, bien sûr. Quoi que, vu les tissus qui volaient… Le sourire d’habitude imprimé sur son visage h24 s’atténua jusqu’à laisser apparaître une incompréhension, incluant une tachycardie bien connue. Il devait fuir. Enfin, non, il avait besoin de cet argent. Il devait… Prendre l’air. Ouais. C’est ce qu’il fallait. Et c’est ce qu’il fit, traversant cette foule qui lui donnait une peur nauséeuse, une boule dans le ventre, se renforçant dès qu’il sentait tous ces corps qui semblaient en ébullition le toucher.

L’air frais. Froid. Plus froid, perdant de nombreux degrés mais faisant un bien fou. De but en blanc, ça claquait sur ses pommettes, éclatant la pression qui s’était logée dans sa poitrine. Pas totalement, mais un minimum. Assez pour lui permettre de récupérer sa respiration, assez pour geler dans leurs berceaux les larmes qui avaient commencé à naître. Et ça allait alors déjà mieux. Énormément. Il recommençait déjà à sourire, à se moquer de lui-même, à reprendre du poil de la bête. Il avait été surpris, voilà tout. Ah, la surprise. Seule chose au monde qu’il n’aimait pas.